Le 13 septembre 2023, la Cour de cassation a franchi un cap en matière de congés payés, en s'appuyant sur le droit européen pour prendre en compte les arrêts maladie pour l'acquisition des droits à congé payé. Deux autres décisions du même jour portent, pour l'une, sur la prise en compte des arrêts de travail AT/MP dans le calcul des droits, et pour l'autre sur la prescription. Selon Franck Morel, Avocat associé du cabinet Flichy Grangé Avocats, cette évolution, qui était prévisible, n'en est pas moins préoccupante. Ses explications.
Avec sa série d’arrêts de principe du 13 septembre 2023, la chambre sociale de la Cour de cassation vient de franchir une étape consacrant une solution de droit en large partie prévisible de longue date en matière de congés payés. Elle illustre le fait que la construction de notre droit social tant au plan européen qu’au plan national est le fruit de la jurisprudence lorsque le législateur n’est plus en capacité de faire prévaloir ses orientations politiques (« Les limites du droit au repos ou la folle histoire du travailleur européen qui acquiert des droits à congés payés en étant malade », Franck Morel, Village de la justice, 5 mars 2012).
Il n’est pas inutile de revenir sur le cheminement qui a conduit à une mécanique infernale, conduisant à un système qu’on peut qualifier d’absurde en vertu duquel on acquiert des congés lorsqu’on est malade. En effet, rien d’autre qu’une résistance passive n’a été tenté contre cette évolution.
Aux origines de la mécanique qui a conduit aux arrêts du 13 septembre 2023
§ 1 - Aux origines, était la directive européenne 2003/88 de l’union européenne du 4 novembre 2003, version codifiée d’une directive datant en réalité du 23 novembre 1993, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail et son article 7.
Celui-ci dispose que « Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines, conformément aux conditions d’obtention et d’octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales. »
Une abondante jurisprudence est intervenue devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, qui siège à Luxembourg) sur l’interprétation de ces dispositions.
Elle a même conduit la France à modifier sa législation puisque, par exemple, il ne pouvait être question de subordonner le droit à congés payés à l’accomplissement d’une période minimale de travail (CJUE 26 juin 2001, BECTU, aff. C-173/99). Le droit français qui prévoyait une période minimale de travail d’un mois avant la loi du 20 août 2008, puis de dix jours dans la période de référence pour acquérir un droit à congés payés a finalement supprimé via la loi du 22 mars 2012 toute période minimum de travail.
Mais c’est après cet arrêt de 2001 que le juge européen a élargi cette logique via d’autres arrêts.
Une jurisprudence européenne bien établie sur les relations entre congés payés et maladie
§ 2 - La Cour de Luxembourg a développé une jurisprudence importante sur les conditions dans lesquelles l’exercice du droit à congés payés doit être garanti et ceci même si une période d’arrêt maladie, le cas échéant de longue durée, intervient (à l’origine, CJUE 20 janvier 2009, Schultz-Hoff, aff. C-350/06).
Le juge national français avait interrogé la cour sur la question de savoir si le droit à congés payés prévu par la directive, s’agissant de la situation de Mme Dominguez en arrêt maladie du 3 novembre 2005 au 7 janvier 2007, suite à un accident de trajet et qui réclamait 22,5 jours de congés payés au titre de cette période, s’oppose à des dispositions ou pratiques nationales qui prévoient que le droit au congé annuel payé est subordonné à un travail effectif minimum de dix jours ou d’un mois pendant la période de référence.
La Cour de Luxembourg avait alors rappelé sa jurisprudence issue de l’arrêt « BECTU » de juin 2001 (voir § 1 ci-dessus) et indiqué que « le droit au congé annuel payé de chaque travailleur doit être considéré comme un principe du droit social de l’union revêtant une importance particulière, auquel il ne saurait être dérogé » (CJUE 24 janvier 2012, Dominguez, aff. C-282/10). Il est vrai qu’à la différence d’autres garanties issues de la directive, comme par exemple les durées maximales de travail ou les périodes minimales de repos, aucun mécanisme de dérogation n’est prévu par la directive pour ce droit au congé annuel payé de quatre semaines.
Dans le cas d’espèce, cela aboutissait à faire droit à la demande de la salariée, et donc à considérer les périodes d’arrêt maladie comme travaillées pour l’acquisition et le calcul du droit à congés payés.
En effet, après avoir rappelé la jurisprudence « BECTU » de juin 2001, le juge européen mentionnait que la directive 2003/88 n’opérait aucune distinction entre les travailleurs qui sont absents du travail en vertu d’un congé de maladie, pendant la période de référence, et ceux qui ont effectivement travaillé au cours de ladite période.
Il en déduisait qu’« il s’ensuit que, s’agissant de travailleurs en congé de maladie dûment prescrit, le droit au congé annuel payé conféré par cette directive à tous les travailleurs ne peut pas être subordonné par un État membre à l’obligation d’avoir effectivement travaillé pendant la période de référence établie par ledit État » (CJUE 24 janvier 2012, aff. C-282/10, point 20).
Ce rappel du point 41 de l’arrêt « Schultz-Hoff » du 20 janvier 2009 précédemment cité prenait ici une portée différente : si la question de l’arrêt de 2009 portait sur l’exercice du droit à congés payés en cas de maladie, celle soulevée par l’arrêt de 2012 portait cette fois sur la naissance et la constitution de ce même droit.
Un effet direct limité en droit national à l’origine
§ 3 - Le « mode d’emploi » de l’arrêt « Dominguez » de janvier 2012 - Le juge européen avait donné dans l’arrêt « Dominguez » de janvier 2012 (voir § 2) le mode d’emploi concernant la question de l’effet direct en droit national des dispositions issues d’une directive.
Il incombait selon la CJUE à la juridiction de renvoi de vérifier si elle peut parvenir à une interprétation du droit interne permettant d’assimiler l’absence du travailleur pour cause d’accident de trajet à l’un des cas de figure mentionnés dans le code du travail. À cette fin, elle devait prendre en considération l’ensemble du droit interne et en faisant application des méthodes d’interprétation reconnues par celui-ci, afin de garantir la pleine effectivité de l’article 7 de la directive 2003/88 et d’aboutir à une solution conforme à la finalité poursuivie par celle-ci.
Si une telle interprétation n’était pas possible, la juridiction nationale devait ensuite vérifier si, eu égard à la nature juridique des parties défenderesses au principal, l’effet direct de l’article 7 de la directive 2003/88 peut être invoqué à leur encontre.
À défaut pour la juridiction nationale d’atteindre le résultat prescrit par l’article 7 de la directive 2003/88, la partie lésée par la non-conformité du droit national au droit de l’Union pourrait néanmoins se prévaloir de l’arrêt « Francovich » de 1991 (CJUE 19 novembre 1991 aff. C6/90 et C9/90), pour obtenir de l’État, le cas échéant, réparation du dommage subi pour défaut de transposition de la directive.
§ 4 - Un juge français qui a utilisé les possibilités d’interprétation conforme, avec la limite du cas de la maladie - La Cour de cassation souligne dans son communiqué intervenu à la suite des arrêts du 13 septembre 2023 (Notice relative aux arrêts n° 22-17340 et n° 22-17638) qu’elle a pleinement utilisé immédiatement les possibilités d’interprétation conforme qui s’ouvraient à elle.
Dès 2012, elle a ainsi assimilé l’accident de trajet à un accident du travail pour la naissance et l’ouverture du droit au congé payé, avec en conséquence la mise en œuvre des dispositions du code du travail assimilant les périodes d’accident de travail à du travail pour la constitution et le calcul du droit à congé payé (cass. soc. 3 juillet 2012, n° 08-44834, BC V n° 204).
Mais pour le reste, l’arrêt maladie n’étant pas assimilé à un temps de travail effectif dans le droit positif, le juge n’a pas pu utiliser le mécanisme de l’interprétation conforme (comme elle a pu le faire pour les accidents de trajets) à l’égard des arrêts maladie non professionnels.
La raison : la Cour de cassation ne peut pas se livrer à une interprétation « contra legem », ni même appliquer directement les dispositions de la directive entre un employeur et son salarié (cass. soc. 13 mars 2013, n° 11-22285, BC V n° 73).
Il n’y avait donc pas d’effet direct de la directive sur les litiges entre personnes privées, ce qui était conforme à une jurisprudence constante du juge européen (ex. : CJCE, 17 juillet 1994, Facini Dion, aff. C-91/92) et ceci même dans le cas d’une disposition claire, précise et inconditionnelle (CJCE 5 octobre 2004, Pfeiffer, aff. C-397/01).
En clair, sauf cas particulier des employeurs assimilables à une autorité publique (ex. : entreprise privée délégataire de service public), un salarié ne pouvait pas se prévaloir de la directive pour réclamer un rappel de congés payés pour une période d’arrêt maladie.
Mais les pressions pour obtenir une application des règles dégagées par l’arrêt Dominguez allaient débuter…
Le chemin vers une prise en compte de l’arrêt maladie pour l’acquisition des droits à congé payé
§ 5 - Les signes annonciateurs. - Tout d’abord, la Cour de cassation a interpellé les pouvoirs publics et réclamé dans son rapport annuel à plusieurs reprises une évolution du droit positif (rapports annuels 2013, 2015 puis 2018).
Le législateur s’en est gardé, encore même récemment alors qu’est intervenue, par exemple, une loi visant à adopter diverses mesures d’adaptation au droit de l’Union européenne notamment dans le domaine du travail (loi 2023-171 du 9 mars 2023, JO du 10). On peut imaginer que des motifs politiques compréhensibles ont fondé cette résistance, le législateur préférant vraisemblablement être acculé à cette évolution par le juge, en dernière extrémité. Mais par là même, il s’est cependant privé de la possibilité d’en limiter l’impact…
En revanche, plusieurs requérants ont utilisé la possibilité rappelée dans l’arrêt « Dominguez » de 2012 de rechercher la responsabilité de l’État pour défaut de transposition de la directive (voir § 3).
Ainsi, le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand a été le premier à condamner l’État à indemniser une salariée employée par une entreprise privée qui n’avait pu obtenir un droit à 12,5 jours de congés payés alors qu’elle avait été en arrêt maladie sur une période courant du 2 juin au 31 octobre 2014 (TA Clermont-Ferrand, 1re ch., 6 avril 2016, n° 1500608). Cet arrêt ouvrait une nouvelle étape (voir « Congés payés et maladie : le point sur la saga de la directive européenne du 4 novembre 2003 », Jean-Julien Perrin, FH 3642, §§ 4-1 et s.).
Tout récemment, en juillet 2023, un nouvel arrêt du juge administratif, saisi cette fois par des organisations syndicales pour le compte de salariés, a condamné l’État pour défaut de transposition induisant un préjudice subi par les salariés (CAA Versailles 17 juillet 2023, n° 22VE00442 ; voir FH 4001, §§ 9-1 à 9-5).
§ 6 - La brèche qui a conduit à l’évolution du 13 septembre 2023. - La véritable nouveauté qui devait conduire à l’évolution actuelle est intervenue à la suite d’un nouvel arrêt de la CJUE permettant d’assurer de fait un effet direct aux dispositions de la directive en matière de droit à congé payé.
La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne a été adoptée au Conseil européen de Nice le 7 décembre 2000. Le Traité de l’Union européenne y fait référence depuis le Traité de Lisbonne du 13 décembre 2007, en indiquant que le contenu de la Charte a la même valeur que les traités. La Cour de cassation rappelle d’ailleurs que c’est le traité de Lisbonne qui a donné force juridique contraignante à cette Charte (Notice précitée relative aux arrêts du 13 septembre 2023).
Or, l’article 31 de la Charte énonce que tout travailleur a droit à une période annuelle de congé payé.
Le juge européen n’en déduisait pas pour autant que tout le contenu de la charte avait un effet direct. On a ainsi pu constater que la CJUE a dénié tout effet direct à l’article 27 sur le droit à l’information et à la consultation des travailleurs et son impact sur l’exclusion en droit français des contrats aidés pour calculer les seuils induisant la mise en place de représentants élus du personnel (CJUE 15 janvier 2014, Association de médiation sociale, aff. C-176/12).
En effet, les articles 51 et 52 de la Charte posent la distinction entre « les principes » et « les droits » au sein de la Charte des droits fondamentaux de l’UE. Ainsi (Explications relatives à la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 52 § 5 - Journal officiel de l’Union européenne du 14 décembre 2007) :
- « les droits subjectifs doivent être respectés, tandis que les principes doivent être observés » ;
- « les principes peuvent être mis en œuvre par le biais d’actes législatifs ou exécutifs (adoptés par l’Union dans le cadre de ses compétences et par les États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union) ; ils ne donnent toutefois pas lieu à des droits immédiats à une action positive de la part des institutions de l’Union ou des autorités des États membres ».
Le juge européen a donc considéré que les dispositions de l’article 31 de la Charte sur le droit à un congé annuel payé avaient un effet direct aux litiges entre particuliers en cas d’impossibilité d’interpréter une réglementation nationale de manière à assurer sa conformité avec les dispositions de la directive 2003/88 (CJUE 6 novembre 2018, Bauer, aff. C-569/16 et 570/16).
Dès lors, il était inexorable que le droit national évolue, ce qui s’est fait progressivement.
Une évolution du juge français le 13 septembre 2023 sous haute influence de la jurisprudence européenne
§ 7 - Prise en considération maximale – et même au-delà… – de la jurisprudence européenne. - Les arrêts du 13 septembre 2023 constituent la consécration de la prise en considération de l’arrêt « Bauer » de 2018 (voir § 6).
Trois arrêts méritent qu’on s’y arrête.
§ 8 - Les arrêts pour maladie non professionnelle. - En rappelant l’article 31 de la Charte, l’article 7 de la directive et les arrêts de la CJUE, le premier arrêt vient indiquer que les dispositions de l’article L. 3141-3 du code du travail qui subordonnent le droit à congé payé à l’exécution d’un travail effectif ne permettent pas une interprétation conforme du droit de l’Union (cass. soc. 13 septembre 2023, n° 22-17340 FPBR).
Il incombe, selon le juge européen, alors au juge national d’assurer la protection juridique découlant de l’article 31 de la charte des droits fondamentaux de l’UE et de garantir le plein effet de celui-ci en laissant au besoin inappliquée ladite réglementation nationale.
La chambre sociale de la Cour de cassation écarte donc les dispositions du code du travail en question en évinçant partiellement l’application de l’article L. 3141-3 pour garantir le droit à congé payé d’un salarié qui avait été en arrêt maladie, et en prenant en considération cette période.
§ 9 - Les arrêts pour accident du travail ou maladie professionnelle. - Le deuxième arrêt concernait un salarié victime d’un accident du travail qui réclamait les droits à congés payés correspondant à l’intégralité de son arrêt, qui avait duré plus d’un an.
Or, les dispositions de l’article L. 3141-5 du code du travail n’assimilent la durée d’un accident du travail pour l’acquisition et le calcul du doit à congés payés qu’à concurrence d’un plafond d’une année. Avec le même raisonnement que dans l’arrêt précédent (voir § 8), le juge a laissé inappliqué ce plafond d’un an (cass. soc. 13 septembre 2023, n° 22-17638 FPBR).
Autrement dit, la totalité de la durée de l’arrêt de travail, y compris la fraction excédant un an, doit être prise en compte pour le calcul des droits à congés payés.
§ 10 - La prescription de l’indemnité de congés payés. - Le troisième arrêt concerne l’assiette de la rémunération à prendre en compte pour le calcul de l’indemnité de congé payé et la prescription (cass. soc. 13 septembre 2023, n° 22-10529 et n° 22-11106 FPBR).
Il indique cependant dans sa motivation que si dans la jurisprudence de la Cour de cassation, le point de départ du délai de prescription de l’indemnité de congé payé (qui est de nature salariale) doit être fixé à l’expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés payés auraient pu être pris (cass. soc. 14 novembre 2013, n° 12-17409, BC V n° 271), il doit se référer également au fait que le droit au congé annuel payé constitue un principe essentiel du droit social de l’union européenne (CJUE 6 novembre 2018, Bauer, aff. C-569/16 et 570/16).
La chambre sociale de la Cour de cassation rappelle alors que pour le juge européen, la perte du droit au congé annuel payé à la fin d'une période de référence ou d'une période de report ne peut intervenir qu'à la condition que le travailleur concerné ait effectivement eu la possibilité d'exercer ce droit en temps utile.
La CJUE avait donc ajouté qu'il ne saurait être admis, sous prétexte de garantir la sécurité juridique, que l'employeur puisse invoquer sa propre défaillance, à savoir avoir omis de mettre le travailleur en mesure d'exercer effectivement son droit au congé annuel payé, pour en tirer bénéfice dans le cadre du recours de ce travailleur au titre de ce même droit, en excipant de la prescription de ce dernier (CJUE 22 septembre 2022, LB, aff. C-120/21). Elle en tirait les conclusions que tant l’article 31 de la Charte que l’article 7 de la directive s’opposent à une réglementation nationale en vertu de laquelle le droit au congé annuel payé acquis par un travailleur au titre d'une période de référence est prescrit à l'issue d'un délai de trois ans qui commence à courir à la fin de l'année au cours de laquelle ce droit est né, lorsque l'employeur n'a pas effectivement mis le travailleur en mesure d'exercer ce droit.
La Cour de cassation rappelle alors sa jurisprudence selon laquelle il appartient à l'employeur de prendre les mesures propres à assurer au salarié la possibilité d'exercer effectivement son droit à congé, et, en cas de contestation, de justifier qu'il a accompli à cette fin les diligences qui lui incombaient légalement (cass. soc. 13 juin 2012, n° 11-10929, BC V n° 187 ; cass. soc. 21 septembre 2017, n° 16-18898 FSPB).
Elle en déduit que la prescription ne peut courir à compter de la fin de la période au cours de laquelle les congés auraient pu être pris, que si l’employeur justifie avoir accompli les diligences qui lui incombent légalement, afin d’assurer au salarié la possibilité d’exercer effectivement son droit à congé payé (cass. soc. 13 septembre 2023, n° 22-11106 FPBR). Dans le cas contraire, les droits du salarié ne sont pas prescrits, quelle que soit la période à laquelle ils remontent, puisque le délai de prescription n’a pas débuté !
Questions soulevées par les conséquences de cette évolution et la nécessité de faire évoluer le droit
§ 11 - Pourquoi la Cour de cassation ne limite-t-elle pas l’impact de ses arrêts au seul congé principal de quatre semaines garanti par la directive ? - L’article 7 de la directive européenne de 2003 prévoit un droit annuel à quatre semaines de congés payés, alors que ce droit est de 5 semaines dans notre législation nationale (c. trav. art. L. 3141-3).
Le juge européen lui-même avait rappelé qu’il « est loisible aux États membres de prévoir que le droit au congé annuel payé accordé par le droit national varie suivant l’origine de l’absence du travailleur pour raison de santé, à condition d’être toujours supérieur ou égal à la période minimale de quatre semaines » prévue à l’article 7 de la directive (CJUE 24 janvier 2012, Dominguez, aff. C-282/10).
Il est donc possible, en respectant le droit européen, de considérer qu’une absence pour maladie n’ouvre pas droit à tout ou partie des jours de congés correspondant à la 5e semaine de congé payé ou à des congés payés conventionnels supérieurs.
Ce n’est pas le chemin qu’a pris le juge français. La chambre sociale explique (Notice précitée relative aux arrêts du 13 septembre 2023) que l’action du juge national qui laisse inappliquées des dispositions de droit interne contraires à la charte se limite, dans le litige qui lui est soumis, au retranchement des dispositions inconventionnelles, sans qu’il lui soit possible d’aménager, moduler ou modifier les dispositions subsistantes. Ainsi que l’indique la Cour dans sa notice, la prise en compte des arrêts maladie et de l’intégralité des arrêts AT/MP pour l’acquisition des congés payés vaut en l’état non seulement pour les quatre semaines de congé principal, mais aussi pour la 5e semaine et les éventuels congés payés conventionnels qui viennent s’ajouter.
Il est vrai que l’article 31 de la Charte ne vise pas une durée de quatre semaines. Mais la directive 2003/88 permet de l’interpréter. En outre, l’article 31 ne vise pas un droit à la garantie exhaustive de l’ensemble des congés payés prévus par le droit applicable, mais un droit « à une période annuelle de congé payé ». La charte n’empêchait donc pas d’opérer une distinction entre le congé principal de quatre semaines, et la 5e semaine de congés payés.
La chambre sociale de la Cour de cassation justifie également sa position en indiquant que distinguer les quatre semaines du congé principal de la cinquième semaine pour l’acquisition des droits aurait conduit le juge à opérer une discrimination à raison de l’état de santé, contraire aux dispositions de l’article L. 1132-1 du code du travail.
C’est un raisonnement contestable, pouvant mener ainsi à considérer que l’absence de maintien intégral de la rémunération pendant un arrêt maladie constitue une telle discrimination. La Cour de cassation avait d’ailleurs, comme elle le rappelle, déjà garanti le droit au congé payé annuel de cinq semaines pendant la période d’éviction résultant de la nullité du licenciement d’un salarié victime d’accident du travail (cass. soc. 1er décembre 2021, n° 19-24766 FPBR), et n’avait pas opéré de distinction en matière de règles de prescription dans l’autre arrêt du même jour (voir § 10) (cass. soc. 13 septembre 2023, n° 22-11106 FPBR).
Seule une intervention législative peut à ce jour permettre de limiter l’impact de ces arrêts au seul congé principal de quatre semaines.
Cela peut être aussi, dans l’attente, une disposition conventionnelle, puisque rien dans le droit positif national ne permet de considérer que l’application de ces règles à la cinquième semaine de congés payés résulterait d’une disposition d’ordre public. Espérons cependant que le juge ne considérerait pas qu’une telle prescription conventionnelle est contraire aux dispositions de l’article L. 1132-1 du code du travail.
§ 12 - Quelles sont les conséquences de ces arrêts en matière de prescription ? - Il est à craindre que ces conséquences soient difficilement maîtrisables pour des entreprises qui n’ont pas organisé la prise de congés payés de salariés en longue maladie. Les rappels demandés en indemnités pourraient alors être conséquents.
Le juge européen avait estimé que l’article 7 de la directive ne s’oppose pas à des dispositions ou à des pratiques nationales, telles que des conventions collectives, limitant, par une période de report de 15 mois à l’expiration de laquelle le droit au congé annuel payé s’éteint, le cumul des droits à un tel congé d’un travailleur en incapacité de travail pendant plusieurs périodes de référence consécutives (CJUE 22 novembre 2011, Schulte, aff. C-214/10). Il avait considéré en revanche que 9 mois étaient une durée trop courte, la période devant dépasser la durée de la période de référence (CJUE 3 mai 2012, Neidel, aff. C-337/10).
Il est donc possible au législateur et dans l’attente à un accord collectif de fixer une période maximale de report des congés payés. Ceci peut permettre de limiter l’impact des arrêts du 13 septembre 2023… mais pour l’avenir. Cela n’empêchera pas malheureusement que des demandes de rappels d’indemnité de congés payés soient formulées au titre de périodes d’arrêts maladie passées par des salariés ou anciens salariés d’une entreprise.
Restera à examiner comment le juge va également appliquer sa jurisprudence sur l’obligation de l’employeur d’organiser la prise de congés payés, en particulier, lorsque les droits correspondants à l’ajout d’une période maladie ne couvrent pas une année entière.
Pourra-t-on considérer que l’organisation de la prise des congés payés de manière générale, pour le reliquat de droits acquis durant la même année permet de considérer que l’obligation a été remplie et que le délai de prescription a commencé à courir ?
C’est indispensable sauf à ouvrir un front nouveau dans les contentieux individuels qui, aux côtés des traditionnelles demandes de rappels d’heures supplémentaires pour les salariés employés en forfaits en jours ou d’indemnisation au titre du harcèlement moral lors de la contestation d’une rupture, verront s’ajouter des demandes de rappels d’indemnités de congés payés au titre de toutes les périodes de maladie passées.
Quelles sont les autres difficultés potentielles issues de l’impact du droit européen sur le droit national en matière de congés payés ?
On peut en dénombrer deux au moins.
§ 13 - Les contrats de travail temporaire et les congés payés. - Si le droit national prévoit bien que les salariés employés en contrat de travail à durée déterminée ou en contrat de travail temporaire bénéficient d’une indemnité de congés payés (c. trav. art. L. 1242-16 et L. 1251-19), le juge a été conduit à indiquer, pour les salariés employés en CDD, que cette indemnité n’est due qu’à titre exceptionnel « dans l’hypothèse où le régime des congés payés dans l’entreprise ne lui permet la prise effective de ceux-ci » (cass. soc. 25 février 1998, n° 95-45005, BC V n° 100 ; cass. soc. 4 janvier 2000, n° 97-41374, BC V n° 2).
Cette précision devrait aussi concerner les travailleurs temporaires, car il faut rappeler que la directive prohibe le remplacement de la prise des congés payés par une indemnité financière sauf fin des relations de travail (« Durée et aménagement du temps de travail », Franck Morel, 9e édition, Revue fiduciaire, 2021).
Il est donc essentiel, même pour des contrats courts, d’avoir mis en mesure le salarié de prendre ses congés ou de démontrer que cela n’était pas possible.
§ 14 - Le calcul des heures supplémentaires et les congés payés. - En janvier 2022, le juge européen a été conduit à indiquer que l’article 7 de la directive lu à la lumière de l’article 31 de la charte des droits fondamentaux de l’UE « doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition d’une convention collective en vertu de laquelle, afin de déterminer si le seuil des heures travaillées donnant droit à majoration pour heures supplémentaires est atteint, les heures correspondant à la période de congé annuel payé pris par le travailleur ne sont pas prises en compte en tant qu’heures de travail accomplies » (CJUE, 13 janvier 2022, Koch Personaldienstleistungen Gmbh, aff. C-514/20).
Or, le code du travail n’assimile pas la durée des congés payés à du temps de travail effectif pour le calcul des heures supplémentaires et de leur majoration. Si une journée de congé payé est prise durant la semaine et que par ailleurs un jour supplémentaire est travaillé durant cette même semaine, cette circonstance n’a pas en principe par elle-même pour effet de devoir verser des majorations pour heures supplémentaires. La jurisprudence n’assimile logiquement pas non plus les congés payés à du temps de travail effectif pour le calcul des heures supplémentaires (cass. soc. 4 avril 2012, n° 10-10701, BC V n° 115).
Par ailleurs, s’agissant des modes d’aménagement du temps de travail organisés sur une base annuelle, les jours de congés payés sont déjà déduits pour calculer la durée de référence par exemple de 1607 heures ou 218 jours, et considérer les congés payés comme du temps de travail effectif pour calculer les majorations dues en matière d’heures supplémentaires serait de fait une remise en cause importante du mécanisme.
Ces conséquences importantes de la position du juge européen pourraient être limitées selon certains auteurs au congé principal de quatre semaines (« L’incidence des congés payés sur le calcul des heures supplémentaires », Marc Véricel, Revue de droit du travail 2022, p. 392). Rien n’est moins sûr à la lecture de la notice de la chambre sociale précitée relative aux arrêts du 13 septembre 2023 ! Espérons malgré tout que les conséquences de cet arrêt de la CJUE du 13 janvier 2022 soient limitées au cadre hebdomadaire, hors forfait ou aménagement négocié du temps de travail pour lesquels les congés payés sont déjà déduits pour calculer la durée de référence, et au congé principal.
Pour éviter de dépasser les exigences du droit européen
§ 15 - La Cour de cassation prend l’habitude régulière, comme en témoignent ces arrêts du 13 septembre 2023, d’aller au-delà des exigences liées à la prise en considération du droit européen.
Cela avait déjà été constaté lorsqu’elle avait considéré que lorsque les temps de déplacements accomplis par un salarié itinérant entre son domicile et les sites des premier et dernier clients répondent à la définition du temps de travail effectif telle qu'elle est fixée par l'article L. 3121-1 du code du travail, ces temps ne relèvent pas du champ d'application de l'article L. 3121-4 du même code (cass. soc. 23 novembre 2022, n° 20-21924 FPBR ; cass. soc. 1er mars 2023, n° 21-12068 FB). En clair, si une prescription légale (ici c. trav. art. L. 3121-4) prévoit que ces temps ne constituent pas du temps de travail effectif, elle doit être écartée si les temps répondent après analyse in concreto de la situation à la définition du temps de travail effectif.
La chambre sociale avait clairement fait référence à la directive pour aboutir à ce que ces temps soient intégralement comptabilisés comme du travail effectif, y compris en matière de rémunération.
Or, la directive européenne vise à protéger la santé et la sécurité des travailleurs et il était possible de restreindre le raisonnement de la chambre sociale aux seuls effets liés à cette protection (durées maximales de travail, temps de repos…), ce qu’elle faisait antérieurement (cass. soc. 30 mai 2018, n° 16-20634 FPPB). On peut donc parler d’alibi européen pour aller au-delà des exigences issues de la jurisprudence de la Cour de Luxembourg (« Temps de trajet domicile-travail des itinérants : l’alibi européen du revirement de la chambre sociale de la Cour de cassation », Franck Morel, Revue de droit du travail 2023, p. 194).
Tout ceci plaide décidément de nouveau, comme déjà proposé, pour une étude d’impact obligatoire et publiée en cas de revirement de jurisprudence (« Droit du travail : 18 idées pour le prochain quinquennat », février 2022, Franck Morel, Note Institut Montaigne). Elle aurait permis de tenter d’évaluer les conséquences du raisonnement issu de ces arrêts du 13 septembre 2023 en termes de rappels potentiels de salaires pour les entreprises…
Author: Matthew Singh
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